Airbus et son président, Thomas Enders, sont entrés dans une zone de turbulences dont personne ne peut prédire comment et dans quel état ils en sortiront. Vendredi, les sites de Mediapart et du magazine allemand « Der Spiegel » ont publié une enquête tendant à prouver l’implication de Tom Enders dans la vente de dix-huit avions de combat Eurofighter à l’Autriche en 2003, dont la justice autrichienne est saisie pour corruption. Dans un communiqué, Airbus a réagi contre les « allégations répétées » de corruption à son égard qui nuisent à sa « réputation », en affirmant que contrairement aux affirmations du « Spiegel », le procureur de Munich ne prépare pas une mise en accusation des dirigeants et anciens dirigeants d’Airbus et que l’Autriche « n’a pas été trompée sur la capacité de livraison et les coûts des opérations de compensation », liées à cette vente d’Eurofighter. Cependant, ces révélations interviennent alors que le groupe est déjà déstabilisé par deux enquêtes conduites depuis deux ans par le Serious Fraud Office (SFO) britannique et le Parquet national financier (PNF) français sur une violation présumée des lois anticorruption pour l’obtention de plusieurs commandes d’avions commerciaux et de satellites. Ces deux affaires, sans rapport, inquiètent jusqu’aux gouvernements allemand et français, au point qu’un proche du dossier juge « souhaitable » l’intervention personnelle d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron pour « éviter le pire » au géant européen. L’enquête du PNF pourrait être l’une des premières applications de la loi Sapin (voir ci-contre). Elle porte en effet sur des « inexactitudes que nous avions nous-mêmes découvertes », selon les termes pudiques utilisés par Tom Enders dans un courrier adressé aux collaborateurs du groupe vendredi pour tenter de les rassurer. Autrement dit, le groupe a choisi de porter à la connaissance des justices britannique et française les soupçons de corruption, en appliquant l’adage bien connu « faute avouée à demi pardonnée ». Impossible, néanmoins, d’expliquer la décision du directeur juridique du groupe, John Harrison, de recruter le cabinet d’avocats Clifford Chance pour conduire l’enquête. Une soixantaine de « lawyers », pour la plupart américains, ont investi le siège de Suresnes. « Voudrait-on livrer aux services américains toutes les informations stratégiques du concurrent de Boeing, on ne s’y prendrait pas autrement, commente un ancien dirigeant de l’avionneur. Mais entre le complot et la bêtise monumentale, il ne faut pas toujours privilégier le complot ».